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La sarcelle bleue

Livre numérique


René Bazin (1853-1932)

"– Comment s’appelle-t-elle, votre histoire ?

– L’histoire de la marquise Gisèle.

– Un joli nom, observa Thérèse. Savez-vous, mon parrain, que vous ne m’avez pas encore fait compliment de mon dessus de clavier ? Regardez : tout au passé, vieux rose et vieil or sur fond blanc. Est-ce joli ?

– Ce sera surtout inutile.

– Oh ! inutile ! dit Thérèse, en penchant sa tête blonde sous le rayon de la lampe, pour nouer un brin de soie derrière la bande de drap. Et quand ce serait ? Je fais assez de choses utiles, ici, monsieur mon oncle et parrain, pour avoir le droit de broder le soir un tapis de piano.

– On dirait une robe de cour !

– Eh bien ?

– Pour un logis comme les Pépinières, Thérèse !

– Justement, c’est ce qui me plaît, à moi : des dessins qui courent bien, des couleurs, de la soie, de la laine fine. Riez, si vous voulez : cela repose les doigts, les yeux, le cœur. N’est-ce pas, mère ?

En face, de l’autre côté du guéridon, une femme encore jeune, vêtue d’une robe foncée à gilet mauve, leva la tête, en laissant retomber posément ses deux mains qui tenaient une dentelle au crochet. Ses yeux bruns très calmes, l’ovale plein de ses joues, la bouche mince et un peu longue, la ligne noble des épaules, attestaient en elle une race affinée. À droite, un petit homme tout blanc et tout nerveux, ridé, l’œil gris, les cheveux foisonnants autour d’une calotte de velours, la barbe divisée en deux pointes, comme une queue d’hirondelle, se redressa à demi dans le fauteuil où il sommeillait."

Robert de Kérédol, ancien colonel, vit sa retraite chez Guillaume et Geneviève Maldonne ; il est le parrain de leur fille Thérèse dont il est secrètement amoureux. Il s'inquiète : un jour, Thérèse quittera, par amour d'un autre, le foyer où l'on est si bien tous les quatre. Et voici qu'apparaît Claude, un jeune voisin...