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Ma tante Giron

Livre numérique


René Bazin (1853-1932)

"– À vous un lièvre !

L’animal venait, en effet, de débouler dans un champ de trèfle nouvellement fauché, sous les pieds du garde, qui l’avait manqué de ses deux coups de fusil. Il arrivait, haut sur pattes, les oreilles droites, au petit galop, sur les trois autres chasseurs qui battaient en ligne la pièce de trèfle. Il passa d’abord à trente pas du baron Jacques. Le jeune homme tira sans viser : pan ! pan ! Le lièvre ne broncha pas. Seulement une fine poussière, comme en fait un moineau qui se poudre, s’éleva derrière lui.

Ce fut le tour du comte Jules. Campé fièrement, le pied droit sur un sillon, le pied gauche sur un autre, il épaula son fusil neuf aux ferrures d’argent, ajusta longuement, puis rabattit l’arme en criant :

– Hors de portée !

Il faut dire qu’il manquait souvent, et qu’il épargnait les coups pour épargner son amour-propre.

À ce cri, le lièvre fit un bond, tourna à angle droit, se ramassa sur lui-même, et, couchant ses oreilles, s’éloigna grand train dans le creux du sillon.

Mon grand-père était le dernier sur la ligne des chasseurs, un peu en arrière du comte. Il eut un sourire narquois. Ses compagnons qui l’observaient, le virent mettre la main à sa poche droite, en retirer sa tabatière, humer une petite prise, puis rentrer l’objet dans les profondeurs d’où il l’avait sorti. Alors, seulement alors mon grand-père leva son fameux fusil en fer aigre. Il épaula vivement. Le chien s’abattit. On entendit un bruit de capsule et, une demi-seconde après, une détonation un peu plus forte : au bout du champ, tout près de la haie, le lièvre culbutait, et tombait raide mort entre deux touffes de trèfle rouge."

René Bazin nous plonge dans le pays du Haut-Anjou, en 1828. "Ma tante Giron" est une invitation à faire connaissance avec ce pays du Craonais, un peu breton par son paysage et un peu vendéen par ses habitants...



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