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La fée des grèves

Livre numérique


Paul Féval (1816-1887)

"Si vous descendez de nuit la dernière côte de la route de Saint-Malo à Dol, entre Saint-Benoît-des-Ondes et Cancale, pour peu qu’il y ait un léger voile de brume sur le sol plat du Marais, vous ne savez de quel côté de la digue est la grève, de quel côté la terre ferme. À droite et à gauche, c’est la même intensité morne et muette. Nul mouvement de terrain n’indique la campagne habitée ; vous diriez que la route court entre deux grandes mers.

C’est que les choses passées ont leurs spectres comme les hommes décédés ; c’est que la nuit évoque le fantôme des mondes transformés aussi bien que les ombres humaines.

Où passe à présent le chemin, la mer roula ses flots rapides. Ce marais de Dol, aux moissons opulentes, qui étend à perte de vue son horizon de pommiers trapus, c’était une baie. Le mont Dol et Lîlemer étaient deux îles, tout comme Saint-Michel et Tombelène. Pour trouver le village, il fallait gagner les abords de Châteauneuf, où la mare de Saint-Coulman reste comme une protestation de la mer expulsée.

Et, chose merveilleuse, car ce pays est tout plein de miracles, avant d’être une baie, c’était une forêt sauvage !

Une forêt qui n’arrêtait pas sa lisière à la ligne du rivage actuel, mais qui descendait la grève et plantait ses chênes géants jusque par delà les îles Chaussey.

La tradition et les antiquaires sont d’accord ; les manuscrits font foi : la forêt de Scissy couvrait dix lieues de mer, reliant la falaise de Cancale, en Bretagne, à la pointe normande de Carolles, par un arc de cercle qui englobait le petit archipel.

Quelque jour, on fera peut-être l’histoire de ces prodigieuses batailles où la mer, tout à tour victorieuse et vaincue, envahit le domaine terrestre en conquérant, puis se dérobe, fugitive, et se creuse dans les mystères de l’abîme une retraite plus profonde."

Mont Saint-Michel, 1450 : François, duc de Bretagne assiste à la cérémonie pour le repos de l'âme de son frère Gilles. En plein office, Hue de Maurever, ancien écuyer de ce dernier, accuse le duc de fratricide et le cite à comparaître devant le tribunal de Dieu dans 40 jours. Le duc ordonne à Aubry de Kergariou de ramener le fugitif, mort ou vif ; Aubry refuse en jetant son épée aux pieds du duc...