(1)

Les nuits de la Bélière

Livre numérique


PROLOGUE

Maxence, dubitatif, reposa le manuscrit qu'il venait de terminer. Une pile, encore non consultée ou à relire à droite, s'entassait sur son bureau. Puis, à l'opposé, celle de gauche se dressait comme une vipère en rage comme si les textes connaissaient déjà leur destin. Car, dans les documents qui la composaient, aucun ne serait retenu. Un bref coup d'oeil avait plus ou moins décidé de leur sort. Ils n’entraient pas dans la ligne éditoriale, ils étaient trop mal écrits, voire incompréhensibles dès les premiers mots...

Le texte encore dans les mains, il hésita un moment quant à l'endroit où le poser. Puis il l'ouvrit à nouveau, feuilleta quelques pages, relut quelques passages. Au moins, celui-ci possédait un avantage, il était relativement court. Pas un de ces pavés qu'il se devait de consulter, voire parfois même de déchiffrer, qui n'avait aucun rapport avec ce qu'il cherchait, mais dont l'auteur était connu, autrement dit « bancable » et qu'il ne pouvait laisser passer sous peine de faire une erreur de gestion regrettable. La maison d'édition qu'il avait reprise à la suite du décès de sa mère, après une interruption de deux ans, était encore trop fragile pour se permettre de rater un futur best-seller !

Mais à la lecture de ces pages, une impression très bizarre l'avait envahi. Et ce sentiment n'avait rien à voir avec une quelconque réaction professionnelle. C'était quelque chose de beaucoup plus confus, subtil, personnel même. Ce texte, qu'il venait de lire pour la première fois très en diagonale pour ne pas avouer en survol total, lui avait fait remonter des souvenirs lointains. Comme s'il avait déjà vécu ou entendu parler de cette histoire. Qui n'en était d'ailleurs pas une, mais tout simplement une juxtaposition de moments étranges, voire extravagants, sans queue ni tête.

Il se devait donc de l'étudier à fond maintenant pour entretenir les braises de ce qu'il pensait devoir à sa mère, la continuité sérieuse et professionnelle de son héritage. Mais surtout pour découvrir ce qui se cachait réellement derrière cette œuvre littéraire. Car il n'avait eu aucun doute là-dessus à la première ébauche d'étude, cela en était une. Originale, incongrue, mais confirmée.

Il se saisit du dossier de notes du comité de lecture. Non pas qu'il en tenait absolument compte, car il se forçait à étudier tous les textes que la maison recevait, ne se fiant qu'à sa propre intuition. Mais le comité, sans faire de tri spécifique, lui donnait tout de même quelques indications sur l'intérêt de nouvelles propositions à publier ou pas. Mais pour celui-ci, rien. Aucune note, aucun commentaire, comme s’il venait d'arriver sans que personne en ait fait un premier débroussaillage avant.